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L’histoire des mines telle qu’on la conte régulièrement s’arrête tristement avec la catastrophe du Bois du Cazier à Marcinelle qui causa la mort de 262 mineurs. Un traumatisme immense qui a sonné le glas d’un secteur minier déjà mis à mal par la concurrence des nouvelles énergies.
Mais si on y prête attention, quelques pages encore importantes de cette histoire se sont écrites après le Cazier. Inscrites sous l’ombre du déclin presque honteux des charbonnages autrefois héroïques, ces pages méconnues ont pourtant contribué à faire de la Belgique ce qu’elle est aujourd’hui.
Entre 1915 et 1957, l’Etat belge n’acceptait que des travailleurs italiens mais face à la demande toujours plus grandissante de main d’œuvre, peu qualifiée, on s’est tourné vers l’Espagne, la Grèce, et plus tardivement, le Maroc et la Turquie. Ces choix stratégiques posés par les politiques et patrons de l’époque, contribueront à façonner durablement la réalité socio- culturelle belge.
Qui en a connaissance aujourd’hui ? Qui s’en rappelle ?
Les derniers mineurs de fond de l’histoire industrielle wallonne, ceux du Roton, et de sa fermeture en 1984, sont de ceux-là. Dans mon travail, je m’attarderai sur l’histoire d’une partie d’entre-eux : celle des mineurs marocains. Débarqués de leur Maroc natal dès le début des années 60, ces hommes, aujourd’hui grands- pères et arrière-grands-pères, ont été parmi les derniers ouvriers à descendre tailler le charbon à  mille mètres de profondeur. Des travailleurs immigrés, écartelés entre leur pays d’origine et le pays qui les accueille, le pays qui les verra vieillir... y mourir pour la plupart.
Avec leurs familles, la Belgique est devenue le leur. Ils y ont apporté leurs rêves avec l’espoir d’une vie meilleure. Aujourd’hui, ils sont devenus des fantômes, des oubliés de l’histoire, et même reniés par une partie de la population belge qui leur demande de justifier leur présence sur le territoire.
A la différence des italiens ou des espagnols, ces anciens mineurs marocains n’osent pas trop parler de leur métier et en parlent avec peu de fierté. Pourtant, les mines de charbon, ces travailleurs marocains les ont également nourries de leur vie.
Leur histoire en Belgique les a liés à ce pays. Leur histoire est la nôtre, dans toute sa complêxité,sa diversité et sa richesse.
Leur histoire est également la mienne liée par celle d’un grand-père paternel venu travailler en Belgique dans les années ’60 et prêter main forte à l’aménagement sous terre, ou sur viaduc, des transports publics à Bruxelles.
"J'ai échappé à la silicose..."
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« J’avais à peu près vingt ans lorsque j’ai accompagné mon cousin vers la Belgique en 1964. A cette époque, les registres étaient assez approximatifs, je ne connais pas l’année de ma naissance avec certitude.
Nous sommes venus à deux pour trouver du travail. Nous sommes vraiment venus à l’aventure, sans contrat préalable. C’est une fois sur place que nous avons été engagés à la mine. Il y avait du boulot à cette époque, pour tout qui voulait manger de la poussière. (Rires)
J’ai alors travaillé au charbonnage du Petit-Try pendant dix ans, puis au Roton pour dix autres années, jusqu’à la grande fermeture. Je me souviens bien du dernier jour…
Pendant toutes ces années, mon poste était à la taille, occupé sur les veines de charbon, entre les machines, les bandes transporteuses et le marteau-pic. Mes poumons ? Ils vont bien jusqu’ici, Dieu merci. J’ai en effet échappé à la silicose… »
Mohammed Aouam
"La mine plutôt que l'école..."
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« Je suis venu en Belgique à l'âge de 17 ans et je venais rejoindre mon père qui travaillait déjà à la mine depuis 1964.  J'ai été inscrit à l'école, bien sûr, mais honnêtement ça ne se passait pas très bien et j'ai préféré chercher du travail. A cette époque, on engageait vite dans tous les secteurs. : il y avait de la place pour tout le monde. J'ai choisi la mine...
J'y ai travaillé en tant qu'ajusteur mécanicien, au fond, pendant onze ans, jusqu'à la fermeture du Roton. Je possède encore une partie de mon matériel: quelques outils, ma sacoche, ma lampe et sa batterie, ainsi que mon casque d'ajusteur, de couleur bleue. Les casques possédaient en effet plusieurs  couleurs qui correspondait chacune à une fonction : bleu pour les ajusteurs, noir pour les ouvriers, rouge pour les électriciens, blanc pour les grands chefs !
Tout ça remonte à très loin. Nous étions en ces temps-là beaucoup de marocains dans la région, pour la plupart mineurs. Beaucoup sont décédés à l'heure actuelle... Je figure parmi les derniers de cette époque !»

Abdesselam Boukhrouf

"La mine ? J'ai vite cherché ailleurs..."
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« Je suis venu pour travailler directement au charbonnage du Nord de Gilly, en 1967. 
Quelques mois plus tard, il fermait ses portes et je me suis retrouvé aux charbonnages du Nord de Charleroi (assimilé dans la concession de Monceau-Fontaine).
Au début, j’étais manœuvre en surface puis j’ai travaillé à la taille, tout au fond, ça payait mieux. Mais ma santé prenait des coups. Je tombais souvent malade. 
A la fermeture du Nord de Charleroi (en 1972), après presque six ans de mine, j’ai préféré changer de métier. Je me suis orienté vers autre chose, dans le bâtiment. En surface. (Rires) »
Mohammed Bourous


"Une semaine de formation, puis on était lâché...
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« Je suis venu en 1963, au départ d’un contrat d’embauche que j’ai signé à Casablanca. Je m’étais engagé pour le charbonnage du Roton. Je suis venu en avion, avec la compagnie Sabena à l’époque.
Pour le logement, je me suis tout d’abord retrouvé à « la cantine des marocains » de Lambusart, qui servait effectivement de cantine mais aussi de logements pour beaucoup de mineurs marocains.
Une fois sur place, les nouveaux venus comme moi avions droit à une semaine de formation au charbonnage pour apprendre le métier. Puis on était lâché et on devait se débrouiller.
Je n’ai pas terminé ma carrière au charbonnage, dès que j’ai pu, j’ai préféré chercher du travail dans l’industrie, aux Pays-bas puis finalement à Caterpillar. Alors seulement, j’ai pu fonder ma famille… »
Mohammed Arif
"Certains ont paniqué, refusaient de descendre..."
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« J’ai quitté ma famille au Maroc pour venir en Belgique en 1965 par mes propres moyens. Je suis parti avec un simple bagage et un poulet rôti que ma mère m’avait cuisiné pour manger en route.
Mineur est un métier dangereux qui ne souffrait d’aucune approximation. Un jour, en fin de journée de travail, j’avais mal branché la batterie de ma lampe frontale pour la faire recharger. Le lendemain en la reprenant, je ne le savais pas, mais elle n’était qu’à peine chargée. Je suis descendu au fond et ai commencé à travailler à mon poste. Au bout de deux heures, la lampe a montré des signes de faiblesse et s’est ensuite totalement éteinte. J’étais seul dans le noir complet. J’ai crié pour appeler de l’aide mais sans succès. J’ai frappé les tuyauteries pour attirer l’attention des collègues, sans plus de succès. Finalement, les collègues de la pause suivante m’ont trouvé et ont pu me ramener à la surface… C’était une situation très stressante…» 
Hadine Houari

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